
Parole collective

Des textes soumis dans le cadre de l’appel de textes ouvert à tous. Merci énormément à tous les participants pour ces magnifiques créations inspirées et inspirantes!
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Des étrangers résident quelque part dans ma tête
Parfois ils se font discrets, plutôt silencieux
D’autres fois ils s’époumonent, rugissent de mille feux
Trouver leur maison est une insoluble enquête
Ils n’ont pas de nom, d’âge ou de visage
Ils n’ont pas de nationalité précise
Vivre avec eux est un difficile apprentissage
Parce que la fin du monde ils la prophétisent
Dans leurs moments de mécontentement
Ils hurlent que je suis une bonne à rien
Leurs voix sont solides, rapides, c’est assourdissant
Ils sont aussi confiants que de vieux politiciens
D’autres fois, ô joie, je suis la plus intelligente
La plus allumée et la plus appréciée
Mais ce n’est que le temps d’un court été
Car leurs récriminations se font à nouveau bruyantes
Des étrangers résident quelque part dans ma tête
Ils me susurrent des mots durant la nuit
Je les entends me dire, juste avant mes rêves
« Nous sommes avec toi pour la vie »
-Élizabeth Colette Labbé, région de Saguenay-Lac-Saint-Jean
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J’ai réfléchi longtemps à ce thème, sans trop savoir comment l’aborder : le JE pluriel. J’ai d’abord pensé que Le Je, c’est moi, c’est une personne vivant avec un trouble d’anxiété généralisée ou encore avec tout autre trouble de santé mentale. Le pluriel, c’est plusieurs; plusieurs personnes dans une grande communauté hétérogène, composée de personnes de tout âge, atteintes de toutes sortes de conditions et poursuivant tout plein d’objectifs. Puis, en ce Mois de la Parole collective en santé mentale, j’ai aussi pensé que le Je au pluriel, c’est moi ET toutes les autres personnes qui vivent avec un trouble de santé mentale, de toutes les tranches d’âge et de toutes les origines.
La vie peut être toute simple. Elle peut aussi être très complexe pour une personne vivant avec un trouble de santé mentale. Et elle peut devenir encore plus complexe lorsque ce trouble est mal compris ou mal accepté. Un jour, la personne reçoit son diagnostic; souvent elle le cache à sa famille ou à ses amis, puis elle s’isole. Elle cherche à comprendre, elle essaie de s’adapter aux demandes de son travail, de la société, mais ce n’est pas facile. Son état se dégrade, elle ne fait plus les activités qu’elle aimait, elle ne croit plus en elle. Elle se sent regardée, jugée, mal aimée par les autres et même par elle-même. Tous les jours, c’est un combat pour cette personne. Pour comprendre comment, pourquoi? Pour essayer de guérir? Pour essayer de vivre avec? Pour arriver à retrouver un certain train de vie? Pour s’en sortir? Pour demander de l’aide? Pas facile, …
La parole collective, je souhaite que ce soit la parole de toutes les personnes qui vivent des situations regardant la santé mentale, qui en souffrent, qui veulent dire comment elles se sentent et ce dont elles ont besoin. Je la vois de la façon suivante : c’est chaque individu qui peut raconter son expérience afin d’enrichir la compréhension de la cause, attirer de nouveaux regards positifs de la part de la société en général et ainsi faire augmenter les ressources disponibles pour venir en aide aux personnes ayant besoin de se comprendre, de se guérir, de s’estimer. C’est chaque personne qui en parle, avec son individualité, à un ami, à un proche, à un spécialiste en santé mentale qui peut apporter un espoir à la collectivité. J’ai compris qu’en parler aux autres, ça soulage, ça libère et ça aide. Et plus on en parle, plus ça aide. Et plus on est de personnes à en parler, le Je devient pluriel dans toute la communauté. Les barrières tombent, il y a beaucoup plus de compréhension et d’acceptation. Le Je devient pluriel dans toute la société aussi.
Pour moi, et pour toutes les autres personnes, je sais qu’il y a de l’espoir. Ça passe par la connaissance, la parole et l’acceptation de la condition mentale d’une personne. L’acceptation par les personnes qui en souffrent, par les proches qui en souffrent bien souvent aussi et par toute la société. La personne atteinte d’un trouble de santé mentale a un cœur qui bat, une tête qui réfléchit, des oreilles qui entendent et une bouche qui peut s’exprimer. Elle est capable d’accomplir beaucoup; elle a des idées, des forces, des rêves, … Mais le jugement des autres et cette crainte de demander de l’aide l’amènent souvent à oublier ses forces et ses rêves, à moins entendre, à moins apprécier les petits plaisirs de la vie et à moins s’exprimer. Pour qu’il y ait de l’espoir et de la guérison, je souhaite que le Je qui souffre en parle et que le Je qui n’en souffre pas, en parle aussi, sans tabou et sans jugement. Il faut prendre la parole, il faut donner la parole. C’est ça, la parole collective. Je rêve de ce jour, quand tous les Je du monde en parleront.
-Linda Paradis, région de l’Outaouais
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Seul, je suis pendu à mes lèvres,
attendant mes premiers mots.
Ils sont là, ils se bousculent dans ma tête,
Mais aucun d’eux n’ose se présenter à la porte de mes lèvres.
Trop peureux de s’enfarger les uns dans les autres et de perdre tous leurs sens.
Les consonnes sont tout à coup difficiles à prononcer,
Sans elle, je me sens démunie.
Comment donner forme à des mots sans leur présence.
Les b, les p et bien d’autres ne prennent pas vie,
Malgré leurs clartés dans mon esprit.
Les muscles de ma bouche semblent juvéniles et maladroits,
Comme s’ils apprenaient à parler pour la toute première fois.
Cette fois-ci, la volonté seule ne peut me mettre les mots à la bouche.
Je devrais encore patienter, réapprendre à parler,
comme un jeune nourrisson qui arrive au monde.
C’est angoissant, de se retrouver dans un corps qui a perdu tout le bagage d’une vie.
Réapprendre à parler n’est que le début,
Il me faudra réapprendre à manger, à marcher, à courir, à écrire.
Difficile de se sentir prisonnier de son propre corps, enfermé dans son propre mutisme,
Même si derrière ces yeux se trouve un esprit vif.
Avec plein de ressources et d’innombrables expériences de vie, ce corps a tout oublié.
Il doit recommencer du début, réapprendre un pas à la fois, une syllabe à la fois, un mot à la fois,
Construire des phrases qui pourtant il avait dit auparavant des milliers de fois.
-Éric Trudel, région de Québec